Heures de printemps by Marguerite Burnat-Provins

Heures de printemps by Marguerite Burnat-Provins

Auteur:Marguerite Burnat-Provins [Burnat-Provins, Marguerite]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Art, Femmes, Littérature suisse romande et des régions voisines, Nouvelles, Poésie, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2023-12-15T00:00:00+00:00


Cinq heures

Je ne perds jamais mon temps quand j’use ma patience à refaire quotidiennement des choses trop ordinaires, qui me maintiennent au ras du sol.

Leur accorder de l’importance, les classer dans le temps à côté de celles qu’on n’aperçoit qu’en levant la tête, c’est peut-être de la sagesse.

J’admire ce paysan qui se souvient qu’il sema des poireaux un jeudi, il y a deux ans. Je dois veiller à tout, rester prise dans l’invisible engrenage qu’on ne fait pas marcher, qui vous fait marcher, m’obliger à fractionner une journée que je voudrais coulante, onctueuse et limpide comme un filet d’huile.

Il faut aller chercher du bois au petit hangar. Le tas diminue. Je l’épuiserai en entier si les nuages refroidis, jusqu’au seuil de l’été, continuent à hanter ce pays insolemment appelé Côte d’Azur.

Les pierres se détachent, pêle-mêle, en éboulis que je ne relèverai pas, aux tuiles concaves semblent fixés pour longtemps des tubes transparents, des murs ruisselants.

La colline glauque, maussade, est noyée au plus épais de ses taillis. Sur sa crête, l’encre de ce bouquet de pins, une eau-forte qui mord l’acier de la voûte, n’a jamais été plus durement noire. Le vent d’ouest me fait une écharpe glacée, je ne sais pas pourquoi je reste ici, retenue par une sorte de pitié.

Tout a l’air abandonné : ce chevalet renversé, ces bûches saupoudrées d’une semoule ocreuse, la mouture des cirons, ce treillis dont chaque maille porte une larme, ce banc dont la pierre fut chaude, il y a si longtemps et qui se rouille comme le fer.

Près de la petite table de grès, désabusée à l’instant même de sa naissance, une tige se lève, habillée d’un satin brun-violet, poudrée de cendre, de moisissure. Si elle n’en avait point, je donnerais mon nom à cette fleur qui extrait de la terre un deuil secret et s’annonce comme une mort.

Le rossignol chante, sa femelle écoute. Où a-t-il mis son pauvre nid d’artiste, bâclé à même la boue, exposé comme le mien à tous les dangers, à tous les matous de l’imprévu ? Infiniment pures, élevées, mêlées aux gouttes, les notes pénètrent tout le vallon, au fond duquel le ruisseau enflé répond par un grondement de colère.

Admirables, elles vibrent pour ce coin déshérité, pour la pierraille, les buissons, la carrière, pour la couleuvre et cette chatte blanche, sortie des contes de Perrault, dont j’ai vu les yeux bleus découpés dans un ciel.

Bulbul s’est surpassé, pour moi aussi, peut-être ?

Autrefois j’aurais crié : « Comme toi j’ai une poitrine sonore, des ailes, un cœur dilaté. Commence, dis ton poème, et tu sauras le mien. Nos deux âmes voleront ensemble dans ce Mai resplendissant où l’Amour joint sa fleur aux roses. Chante ! Chantons, jusqu’à ce que tu tombes enivré de ta branche, jusqu’à ce que je ploie et meure à demi de trop de bonheur… »

Aujourd’hui personne n’écouterait. Le rossignol module, solitaire, sans le souci de savoir où va ce flot de céleste harmonie ; autant que mon cœur, le vallon est désert.

Les grilles de la



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